Bah Oury à Conakryinfos : « L’UFDG construira avec d’autres partis politiques, l’alternance toujours rêvée… »
[dropcap]R[/dropcap]encontre avec le ministre de l’Administration du territoire et de la décentralisation, sortie médiatique de Cellou Dalein Diallo, perspectives politiques, à bâtons rompus avec le premier vice-président exclu de l’UFDG qui a reçu Conakryinfos cette semaine à son domicile de Lambanyi des jeunes de Pita venus notamment lui témoigner leur soutien.
Conakryinfos : Qu’est-ce qui a réellement été au menu de votre récente rencontre avec le ministre Bouréma Condé ?
Bah Oury : L’UFDG traverse une période très difficile consécutive à la tentative d’assassinat contre ma personne, ayant entrainé la mort du journaliste, Mohamed Koula Diallo. Il y a aussi cette décision d’exclusion. Il était tout à fait normal que je rencontre le ministre de tutelle. Là-bas, j’ai su que El Hadj Abdoullaye Diouma Diallo, l’homme-lige de Cellou Dalein, était déjà passé avec une lettre pour informer le ministre de mon exclusion du parti, et raconter des mensonges comme quoi je voulais assassiner Cellou Dalein.
Qu’attendez-vous de Bouréma Condé ?
Qu’il applique l’esprit et la lettre sur le contenu de la charte des partis politiques. Le 5 février, il y a eu des manquements graves à l’ordre public. Un responsable de premier plan de l’UFDG a fait entrer au siège du parti des jeunes armés de fusil, de coupe-coupe, qui fumaient de la drogue, pour assassiner la deuxième personnalité du parti. En dehors de l’aspect judiciaire, la charte des partis politiques prévoit que tout acte qui trouble l’ordre public est passif de sanction. Ce n’est pas l’institution UFDG qui est en cause, mais des responsables attitrés du parti. La responsabilité est individuelle et directe.
Sauf que ces personnes que vous incriminez occupent des fonctions au sein du parti ?
Leur action a terni l’image de l’UFDG et a contribué à la mort d’une personne, à une tentative d’assassinat et à des blessures. Ce n’est pas banal. C’est un scandale que des responsables politiques planifient l’assassinat de l’un des leurs. Ils ont failli à leur devoir de préserver l’image du parti et la sécurité d’entrée et de sortie au siège. En conséquence, l’autorité administrative doit prendre les mesures qui s’imposent. Au-delà de tout cela, je ne peux pas laisser des gens souiller l’image de l’UFDG.
Le parti est dans une situation difficile. Pour qu’il y ait la sérénité et que la justice fasse correctement son travail, on ne peut pas permettre que des individus passibles de sanction pénale s’abritent derrière le parti. Le ministère de tutelle est interpellé.
Craignez-vous des sanctions contre le parti ?
Sepp Blatter était le président de la FIFA. Il a commis des actes qui l’ont amené à se démettre trois jours après son élection. Aujourd’hui, il a été remplacé de la manière la plus démocratique. Est-ce la FIFA en tant que telle qui doit être sanctionnée ? C’est Blatter, Platini et autres qui ont été sanctionnés. On est dans le même cas de figure. L’institution politique doit être protégée des soubresauts et de la mal gouvernance de certains responsables.
Il se dit pourtant que vous avez rencontré Bouréma Condé pour demander des sanctions contre l’UFDG…
A ceux qui le disent de s’expliquer, de le prouver. Laissons la rumeur faire son chemin. Mais juridiquement, on ne peut pas accepter que des personnes, quelque soit leur rang, qui ont commis d’actes ayant entrainé mort d’homme et tentative d’assassinat, continue de s’abriter derrière un parti politique pour faire des choses contraires à l’éthique et au droit. En plus, ils ont fait un communiqué signé au nom de l’institution pour dire que Bah Oury était porteur d’arme et que c’est lui qui a tué le journaliste. Utiliser le parti pour faire des déclarations mensongères et calomnieuses les disqualifie d’être encore des responsables de l’UFDG. Le droit, la justice doit parler.
En attendant, ils sont présumés innocents…
Je suis tout à fait d’accord. On verra ce qu’il en sera.
Que penseriez-vous d’une éventuelle suspension de l’UFDG ?
Le gèle provisoire des activités de l’UFDG est une nécessité administrative pour que justice se fasse sereinement et que certains ne se refugient pas derrière l’institution. Sinon, il y aurait un déséquilibre entre ceux qui s’abritent derrière le parti et ceux qui se retrouvent dans une certaine mesure abandonnés par la puissance publique. Il faut que le droit soit mis en avant pour que chacun soit mis devant ses responsabilités.
N’est-ce pas surprenant de vous entendre implorer des sanctions contre le parti que vous avez fondé ?
L’UFDG est aujourd’hui utilisée dans un sens contraire à sa mission originelle : l’exclusion, l’incitation au meurtre, la démagogie, le ternissement de l’image des personnes honorables…de cette UFDG, je n’en veux pas. Je veux une UFDG qui gagne, qui rassemble, qui défend les intérêts et valeurs de la démocratie et de la liberté. Ils sont en train de prendre en otage une institution, des communautés, de mener le culte du mensonge. C’est ainsi que le PDG avait été transformé en instrument de dictature et d’élimination physique de citoyens. L’UFDG ne suivra pas ce chemin. La mentalité du parti unique, totalitaire est présente dans nos rangs. Notre combat est de remettre l’UFDG sur le droit chemin pour qu’il y ait une opposition constructive et capable de faire émerger une alternative démocratique, rêve de tous les Guinéens depuis l’indépendance.
Vous vous battez sur le front judiciaire et celui administratif. Seriez-vous en train d’user de toutes les voies pour récupérer votre place ?
Je garde ma place. Je me bats pour un changement de leadership en profondeur au niveau de l’UFDG, j’utilise des armes légales. J’exclus le recours à une campagne mensongère, à une attitude agressive à l’encontre de qui que ce soit. Je veux qu’à travers ce que nous sommes en train de faire, beaucoup des gens apprennent à vivre autrement l’engagement politique : ouverture, tolérance, stabilité…
Votre combat s’annonce rude vu qu’aux yeux de Cellou Dalein Diallo, Bah Oury relève du passé…
Il y a un penseur américain qui prévoyait la fin de l’histoire dans les années 1990, début 2000. Mais que des choses formidables sont intervenues depuis le début de la décennie 2000 avec la révolution de l’internet ! Les dépassés sont ceux qui le disent.
Le président de l’UFDG exclut toute possibilité de dialogue avec vous. Comment envisagez-vous l’avenir ?
Cela ne me dérange nullement. Il faut d’abord que la justice tranche pour qu’on puisse envisage la suite. C’est un élément d’appréciation très important pour savoir ce que demain sera fait.
Vous parlez de justice avec assurance. N’êtes-vous pas fort de quelque chose ?
(Rires). La justice n’est pas de mon côté et je n’ai jamais demandé à ce qu’il en soit ainsi. Je veux que la vérité triomphe. Je sais que celle-ci est de mon côté. C’est pourquoi je suis confiant.
En attendant, seuls les proches de Cellou Dalein sont arrêtés…
Pourquoi voulez-vous qu’il en soit autrement ? Ceux qui ont agressé, poignardé, tiré, tué, tenté d’assassiner sont d’un seul camp. Les autres sont des victimes qui n’ont pas la même place que les exécutants. Les deux camps ne peuvent pas être dans le même box.
Au-delà des accusations et contre-accusations, avez-vous des preuves ?
Il y a des images, des témoins, tout est clair. Aucun doute n’est possible. Il reste que la justice montre les commanditaires, les planificateurs. Il ne suffit pas de sanctionner des lampistes. Tout le monde doit savoir qui a commandité cette tentative d’assassinat contre ma personne.
Beaucoup estiment que vous auriez pu vous abstenir d’aller au siège après votre exclusion. Et si c’était à refaire ?
Je l’aurais refait. Pourquoi ils n’ont pas ouvert le portail ? Pourquoi ne m’ont-ils pas laissé entrer ?
Vous étiez exclu…
Pourquoi donc mettre des gens pour assassiner, tuer simplement pour que je n’entre pas au siège ? Regardez la disproportionnalité entre le fait que Bah Oury entre dans une cour qu’il a lui-même ouvert à Cellou en 2007…La faute est du côté de ceux qui ont empêché Bah Oury d’entrer.
Pourquoi forcer une porte fermée ?
Parce que cette maison est commune. Elle n’appartient pas à Cellou seulement.
La justice n’était-elle pas mieux placée pour le dire ?
Non ! Si on vous empêche d’entrer dans la concession de votre père, allez-vous attendre que la justice intervienne ?
N’est-ce pas que nous sommes dans un Etat de droit ?
Ce sont ceux qui ont planifié un attentat contre Bah Oury qui doivent dire pourquoi ils l’ont fait.
Vous avez toujours dit qu’il n’y a pas de contrepartie à la grâce qu’Alpha Condé vous a accordée. On constate quand-même que votre ton s’est adouci vis-à-vis de sa gestion qui reste toujours la même..
Elle n’est pas toujours la même. Entre le premier mandat et le début du second, il y a beaucoup de choses qui ont changé.
Qu’est-ce qui vous fait autant espérer alors que le gouvernement s’installe à peine ?
Il a exprimé la volonté d’aller dans le sens de la décrispation matérialisée dans un premier temps par la libération des détenus politiques et le retour des exilés. Un second pas reste à faire et nous en faisons notre souci. L’UFDG reste de l’opposition, mais celle constructive.
Ne vous sentez-vous pas quelque part handicapé n’étant que gracié et non amnistié ?
Comme les Anglais disent : step by step. Allons étape par étape. Les choses ne se font pas en un seul jour.
Comment entrevoyez-vous l’avenir ?
Je vois un avenir radieux pour l’UFDG. Le parti rassemblera beaucoup plus davantage. Il construira avec d’autres partis politiques l’alternance toujours rêvée depuis l’indépendance, et bien entendu Bah Oury y jouera un rôle important.
Interview réalisée par Mohamed L. Barry